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  Commission Transports et mobilités / Atelier ferroviaire

Faire les bons choix pour développer le fret ferroviaire : le cas des liaisons transfrontalières alpines et pyrénéennes

Le réchauffement climatique nous impose des mesures d’urgence pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport et à la mobilité. En France, selon les calculs de la dernière étude des universités d’Harvard Birmingham, Leicester et Londres, il est fait état de près de 100 000 (97 242) morts par an en lien avec la combustion des fossiles. L’impact des émissions de particules fines sur la santé est désormais démontré. Outre la nécessité de relocaliser les économies pour limiter nos déplacements et de repenser notre manière de consommer, il est urgent de :

  • Mettre en place des politiques ambitieuses pour favoriser le report modal du transport routier vers le ferroviaire, qu’il concerne les voyageurs ou les marchandises.
  • Rendre visible les coûts externes en les comptabilisant dans le prix des biens. Coûts qui représentent environ 90 Mds€/an pour la France1

Sur les dernières décennies le fret ferroviaire a été totalement désorganisé, perdant une importante part de marché par rapport au fret routier. Développer une offre de fret ferroviaire attractive et compétitive doit être une priorité pour nos politiques publiques, à l’échelle des régions, des États et de l’Europe. L’Union Européenne affiche l’ambition d’augmenter la part modale des modes de transport les plus respectueux de l’environnement. Elle a défini neuf corridors de transport traversant cinq États membres. Le règlement impose aux États membres concernés et à leurs gestionnaires d’infrastructures un certain nombre d’obligations dans l’unique but de rendre le mode ferroviaire plus compétitif et de lui permettre de gagner des parts de marché vis-à-vis du transport routier. Deux projets, concernant la France, sont situés sur le corridor Méditerranéen 2

  • Le projet Lyon Turin
  • Le projet de la Ligne Nouvelle Montpellier Perpignan – LNMP.

C’est à ce corridor que nous nous intéressons dans ce document.Nous y relevons les conditions nécessaires et les choix qui doivent être faits dans l’orientation de ces projets pour que le report modal opère :

  • Sans la mise en service des accès – scénario 2 – à l’ouverture du tunnel de base – déjà engagé – le Lyon Turin sera aussi inutile que le tronçon Perpignan Figueras, et le report modal ne se fera pas.
  • Sans une mixité fret-voyageurs de bout en bout de la ligne Montpellier Perpignan (LNMP) en un seul tronçon, le report modal ne se fera pas.
  • Sans une harmonisation des calendriers de ces 2 grands projets ferroviaires, concernés par le corridor méditerranéen, le report modal ne se fera pas.
  • Sans accompagnement d’une politique fiscale courageuse, de taxations sur le transport routier, le report modal ne se fera pas.

Il est urgent que les décisions politiques nécessaires à la réussite de ces projets soient réellement prises pour que, à l’horizon 2030, année de l’ouverture annoncée du tunnel de base du Lyon-Turin, puisse voir circuler des trains de fret assurant une liaison Espagne France Italie en un temps de parcours le plus réduit possible. Sans décisions rapides sur au moins les quatre points précédents, le combat pour la diminution de la pollution, avec ses conséquences sanitaires, environnementales, économiques, sociales, aura été vain.

I. État des lieux

I.1 Trafic de marchandises aux frontières sudLes dernières données du Ministère de la transition écologique datent de 2014 : En 2014, les principaux flux de transit observés passent par la barrière pyrénéenne en direction de l’Allemagne et de l’Italie :

  • 6,1 millions de poids lourds ont franchi les Pyrénées
  • 2,6 millions de poids lourds ont franchi les Alpes françaises
  • 10% des poids lourds traversant les Pyrénées font route vers l’Italie
  • 14% des poids lourds traversant les Pyrénées font route vers l’Allemagne

Entre 2018 et 2019, le trafic poids lourd augmentait entre 10% et 14% suivant les tronçons de l’A93. En 2019, sur l’arc Alpin entre Genève et Vintimille, un pic de 43 Mt a été atteint, soit 3.3 M de PL et moins de 8 % des volumes transportés par rail, alors qu’une autoroute ferroviaire existe par le tunnel du Mont-Cenis permettant le ferroutage. Sur les 3 passages (Mt Blanc – Fréjus et Vintimille), l’évolution du trafic poids lourds entre 2009 et 2019 est passée de 1.07M de PL/an à 1.31M de PL/an. Soit une progression moyenne de + 2 %/an.

I.2 Impacts environnementaux, sanitaires et économiques D’un point de vue énergétique, pour le même poids de fret et sur la même distance, les trains consomment en moyenne 45 % de moins que les poids lourds, et n’utilisent pas d’énergie fossile sur les lignes électrifiées. Les chiffres du trafic routier révèlent des émissions et rejets alarmants de CO2 (gaz carbonique), principal GES (Gaz à Effet de Serre), mais également de NO2 (dioxydes d’azote) et de particules fines émises quotidiennement sur les axes de trafic des poids lourds. Les émissions de NO2 et particules fines aggravent particulièrement la mortalité par pollution de l’air dans les agglomérations proches des parcours autoroutiers4. Une étude récente coordonnée par l’Université d’Harvardavec les universités de Birmingham, Leicester et Londres, révise à la hausse l’évaluation de la mortalité due à la combustion des fossiles. La pollution de l’air provoquerait près de 100 000 morts prématurées par an en France, soit plus du double du chiffre officiel de 48 000 décès retenu depuis 2016 par Santé publique France et repris dans toutes les communications institutionnelles.5

A ces enjeux environnementaux et sanitaires, rajoutons la dégradation causée à la route6, les risques d’accidents et les conséquences financières pour la collectivité. Une méthode de calcul, née aux États-Unis et inventée par l’American Association of State Highway Officials (AASHO) a servi à la construction de quasiment toutes les routes du pays. Elle institue que l’usure de la chaussée varie comme “la puissance quatrième du rapport des masses appliquées sur les essieux”. En prenant l’exemple d’un poids lourd 5 essieux surchargés à 12 tonnes par essieu, l’ingénieur général Louis Fernique montrait dans son exposé du 23 juin 2004 que le passage de ce seul camion équivalait à celui de 400 000 voitures légères !!!

Les coûts externes des transports sont évalués à plus de 1 000 milliards € pour l’ensemble des pays de l’Union Européenne dont 83 % pour la route. Pour la France, ce serait 111 Mds€ dont 98 % pour la route. Les coûts externes dus au transport routier de marchandises représenteraient environ 90 Mds€/an.7

Le développement du fret ferroviaire devient une priorité et nous devons prendre en compte l’ensemble des coûts indirects, écologiques, sociaux, sanitaires et techniques. En d’autres termes:

  • La vérité des prix doit être établie,
  • Les coûts indirects doivent être évalués,
  • Les coûts indirects doivent être intégrés en déduction des coûts d’investissement et de fonctionnement des projets.
  • Le report modal du fret vers le ferroviaire participera et réduira fortement

Les problèmes de pollution le long des grands axes empruntés par les poids lourds – Littoral méditerranéen (A9), vallées de la Maurienne et de l’Arve, agglomérations traversées.

  • Les coûts indirects supportés par les collectivités et notre système de protection sociale.

II. Préalables à l’évaluation de projets de nouvelles infrastructures II.1 Stratégies européennesLa Commission Européenne a élaboré une “Stratégie Européenne pour la Mobilité Intelligente et Durable” qui a été soumise à adoption le 9 décembre 20208. De cette stratégie, nous retiendrons :

  • La prise en compte par l’Europe des coûts pour notre société, qui ont tous une incidence sur notre santé et notre bien-être, induits par :

les émissions de gaz à effet de serre ; la pollution atmosphérique ; la pollution sonore ; la pollution de l’eau ; les accidents de la route et embouteillages;  la perte de biodiversité.

  • L’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 et de parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050.
  • L’Année Européenne du Rail 2021 est une excellente occasion de renforcer les connexions transeuropéennes avec la prolongation du programme RTE-T.
  • Le trafic ferroviaire à grande vitesse doublera d’ici 2030 et triplera d’ici 2050.
  • Le pacte vert pour l’Europe demande qu’une part substantielle des 75 % du fret intérieur qui est actuellement acheminé par la route soit transférée vers le rail.
  • Le fret ferroviaire doit être fortement stimulé en augmentant les capacités, en renforçant la coordination et la coopération transfrontières. La Commission proposera de réviser les règlements régissant les corridors de fret ferroviaire et les corridors du réseau central RTE-T.
  • Le trafic ferroviaire de marchandises augmentera de 50 % d’ici à 2030 et doublera d’ici à 2050.
  • Le transport intermodal par rail et voies navigables devrait être compétitif sur le plan des prix, par rapport au seul transport routier, et l’organisation du transport de fret devrait pouvoir être réalisée avec des outils dématérialisés, d’ici 2030.
  • Le cadre existant pour le transport intermodal doit être remanié en profondeur et transformé en un instrument efficace.
  • Le remaniement en profondeur d’ici 2030 du cadre européen pour le transport intermodal de marchandises par rail et voies navigables, avec notamment des outils dématérialisés, en vue d’accroître sa compétitivité.
  • Recommandations européennes (2021)“Dans une interview, Elisabeth Werner, directrice des transports terrestres de la direction européenne des transports (DG Move) explique que :
  • L’un des fers de lance de la nouvelle stratégie de mobilité de l’Union européenne est la tarification du CO2, également pour le transport. En outre, le produit d’une redevance kilométrique pour les camions devrait être utilisé pour améliorer le transport durable, par exemple par des investissements dans les chemins de fer.
  • Au cours de la pandémie de Covid-19, le trafic de passagers s’est complètement arrêté, mais nous avons soudainement vu une augmentation significative du transport de marchandises par chemin de fer grâce à la capacité supplémentaire disponible. Nous savons donc que le rail peut croître considérablement, à condition que les conditions soient réunies. Nous allons nous concentrer sur cela dans les années à venir. Par exemple, l’UE donne la priorité à l’amélioration des corridors de fret ferroviaire européens via le réseau RTE-T”9.

II.2 Taxe poids lourds : le modèle helvétiquePour protéger les Alpes, la Suisse a inscrit dans la Constitution fédérale, à la suite d’un scrutin populaire de 1994, l’article qui exige le transfert du trafic de transit de la route au rail. En automne 1998, lors d’une votation populaire, une redevance a été acceptée par la population à une large majorité. Cette redevance a été mise en place le 1er Janvier 2001 :

  • Redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP) qui dépend :

du poids total du véhicule ; de sa catégorie d’émission ; du nombre de kilomètres parcourus en Suisse et dans la principauté de Liechtenstein. La redevance doit être payée pour tous les véhicules à moteur et leurs remorques qui : ont un poids total autorisé de plus de 3,5 tonnes ; servent au transport de marchandises ; sont immatriculés en Suisse et à l’étranger, circulent sur le réseau routier public suisse.

  • Redevance forfaitaire sur le trafic des poids lourds (RPLF) : Pour les véhicules automobiles lourds des catégories suivantes, la redevance est perçue sous la forme d’un forfait : voitures de tourisme lourdes; voitures automobiles lourdes servant d’habitation (camping-cars) et caravanes; véhicules destinés au transport de personnes (autocars); tracteurs et chariots à moteur; véhicules à moteur de forains et de cirque; autres véhicules à moteur destinés au transport de choses dont la vitesse maximale ne dépasse pas 45 km/h10.

Bilan en 2015 “La RPLP fait partie intégrante d’une politique suisse équilibrée en matière de transit et de trafic marchandises. Mieux, elle en est un des piliers. Son but : promouvoir un transport aussi écologique que possible des marchandises à travers les Alpes.” “Un autre élément est important : il faut que, de leur côté, les chemins de fer entreprennent tout ce qui est possible pour améliorer leur productivité et leur compétitivité. Par conséquent, la Suisse a progressivement mis en vigueur depuis 1999 la « réforme des chemins de fer », qui remplit les conditions de la directive équivalente de l’UE. Depuis l’entrée en force de l’accord sur les transports terrestres, l’accès au réseau est libre, moyennant le paiement du prix du sillon. A la faveur de la réforme ferroviaire, les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) ont vu leur dette largement réduite et se sont transformés en une société anonyme qui demeure propriété de la Confédération.”11 En 2019, la RPLP a rapporté 1,6 MdFS soit 1,46 Md€. Le rapport de la RPLP en 2013 était de 1,2 Md€.12 Que cela soit en matière d’organisation des déplacements ou de report modal du fret vers le ferroviaire, la Suisse nous montre, par les actions citées ci-dessus, quelques pistes qui pourraient être mises en place afin d’inciter au report modal.

II.3 Optimisation des voies existantes et relance du trafic ferroviaire : le retard de la France

La France se trouve depuis plusieurs années parmi les derniers états européens pour son niveau d’investissement par tête d’habitant dans le 10 rail (40 €/an contre 365€ pour la Suisse)13. La Suisse dépense donc presque 10 fois plus par habitant dans le rail et a instauré la taxe poids lourds dès 2001, bien avant d’engager de nouvelles infrastructures. Le rôle de l’État français, en collaboration avec l’Europe, serait essentiel pour compenser les déséquilibres structurels et conjoncturels, en particulier pour l’aide spécifique au wagon isolé (75M€ par an), au transport combiné et à la couverture des péages ferroviaires (130M€ par an) ou encore pour la réalisation d’installations terminales embranchées (ITE), vitale pour reconnecter le secteur productif et distributif au réseau ferré. L’amélioration des infrastructures existantes et des services doit devenir une priorité. “Les investissements nécessaires dans la rénovation et la capacité du réseau sont estimés à environ 13 Mds€ d’ici à 2030. Ils sont nécessaires pour le fret mais également pour le passager (contournements). Avant même de prendre en compte l’effet « boule de neige » positif des investissements sur l’économie et l’emploi en France, le retour sur investissement pour la société française serait positif dès 2035. En effet le doublement de part modale permettrait d’éviter des coûts externes d’un montant équivalent à une date comprise entre 2034 et 2035, selon la valeur retenue pour le CO2 (entre 100€ et 500€)”. 14 SNCF Réseau, le gestionnaire d’Infrastructure, contraint par sa trajectoire financière définie par L’État, ne peut mettre en œuvre seul ces investissements essentiels pour lesquels une mobilisation de l’épargne européenne et régionale est envisageable.

III Les grands projets du corridor méditerranéen pour le passage des Alpes et des Pyrénées III.1 Le tronçon international Perpignan-Figueras – Corridor de fret européen n°6 (méditerranéen) : un potentiel élevé mais un trafic limité15. Dans l’attente de la mise en service de la ligne à grande vitesse entre Figueras et Barcelone, un troisième rail a d’abord été installé, sur l’accès au tunnel, afin de permettre aux trains à écartement espagnol d’utiliser ce tunnel. Cette installation a finalement eu peu de succès, puisqu’en 2011-2012, cet accès n’était utilisé au quotidien que par 2 ou 3 trains de fret. Il n’a plus eu aucun succès depuis l’ouverture de la ligne à grande vitesse. La mise en place de la signalisation européenne (ERTMS niveau 1) a elle aussi eu une influence sur le faible niveau de transit de cette section. Les locomotives équipées de ce système de signalisation étaient peu nombreuses ou pas assez puissantes pour tirer un train lourd de fret.

Le coût total du projet sélectionné était de 279M€, dont une contribution de l’UE de près de 70M€. Les trois premières années suivant la mise en service (2011, 2012 et 2013), le nombre annuel de trains de marchandises était respectivement de 357, 636 et 931, alors que l’objectif fixé était de 8 665 la première année (à savoir 2009) et de 19 759 en 2019. Concrètement, cela signifie qu’en moyenne, moins de trois trains de marchandises empruntaient la ligne chaque jour.

Dans son audit de 2016, la Cour des comptes européenne soulignait (pages 69-70) : “Notre analyse montre que le manque de compétitivité sur ce tronçon et la sous-performance qui en a résulté étaient essentiellement dus à une mauvaise coordination des investissements des deux côtés de la frontière. En France, la ligne Perpignan-Montpellier est saturée, non équipée du système ERTMS et limitée par de nombreux paramètres techniques, dont plusieurs passages à niveau sur un tronçon de 150 km. La rénovation de la ligne, qui n’est pas une priorité pour la France, ne devrait pas commencer avant 2030. En Espagne, sur le tronçon Barcelone-Figueras, un certain nombre de ports et d’usines qui constituent d’importants points de départ et d’arrivée de marchandises ne sont pas encore connectés au réseau ferroviaire par une voie normale. En outre, la longueur des trains de marchandises est limitée à environ 500 mètres, alors que la norme européenne est de 740 mètres, et les trains de marchandises doivent régulièrement s’arrêter pour laisser passer les trains de voyageurs. Cela montre bien que les autorités nationales compétentes n’ont toujours pas pleinement intégré la notion de corridor de fret ferroviaire.”

Les objectifs quantitatifs (nombre de trains de marchandises et tonnage de marchandises transportées sur ce tronçon après l’achèvement du projet) sont loin d’être atteints.

La ligne Perpignan Figueras Barcelone en service depuis fin 2013, avec les 8,3 km de tunnel ferroviaire du Perthus, est donc sous-utilisée dans l’attente de la LNMP (Ligne Nouvelle Montpellier Perpignan) et du report autoroute-rail du trafic fret.

III.2 LNMP : un projet à replacer d’urgence dans un cadre européen et transfrontalier.

Chaque année, quelques 90 Mt de marchandises passent la frontière entre la France et l’Espagne par poids lourds, le plus souvent par les routes côtières occidentale et orientale. Seules 3,1 Mt de ces marchandises sont transportées par chemin de fer chaque année ; cela représente 3 % environ de l’ensemble du transport intérieur de marchandises entre ces deux pays.16 La conception de la ligne nouvelle mixte, dans le prolongement du projet de rénovation espagnol de son réseau Méditerranéen faisant partie du plan de verdissement de ses transports, sera un complément aux 8,3 km de tunnel ferroviaire en service depuis fin 2013 de la ligne Perpignan Figueras Barcelone. Mais sans la mixité sur la totalité de son parcours, les transporteurs n’auront rien à gagner à un report modal de la route vers le rail. L’éventualité de la réalisation ultérieure d’une ligne fret en parallèle d’une possible LNMP non mixte, pour se substituer à une “Ligne des étangs” à bout de souffle, risque de faire prendre au corridor Méditerranéen et aux souhaits d’une Europe collective des décennies de retard et des coûts financiers douloureux, que nous pouvons encore éviter aujourd’hui. La France se doit de répondre aux efforts de son voisin européen, l’Espagne, et de l’Europe dans leurs démarches pour une transition écologique efficace et rapide. Ce grand chantier d’infrastructures ferroviaires doit mobiliser au plus vite des financements issus des plans de relance de l’économie de l’Etat et de l’Europe, financements pour lesquels peut être mise à contribution une épargne interrégionale actuellement peu mobilisée pour de grands investissements d’intérêt général sur l’ouest de la façade méditerranéenne d’Occitanie Pyrénées-Méditerranée. Avec la ligne nouvelle mixte de bout en bout entre Montpellier et Perpignan, assurant enfin la jonction entre le Contournement mixte Nîmes Montpellier et la ligne nouvelle mixte Barcelone Perpignan, le corridor européen prioritaire, intitulé Méditerranéen (Algésiras – Lyon – Turin – Budapest) verra enfin le jour dans son intégralité pour les voyageurs ET les marchandises.

La contribution du groupe EELV Occitanie à la dernière concertation publique animée par SNCF Réseau a porté sur les faits suivants :

  • La liaison des deux lignes mixtes du Contournement de Nîmes Montpellier et Perpignan Figueras par une ligne mixte [fret-voyageurs] de bout en bout.
  • La réalisation d’un tunnel sous les Corbières permettant le passage des trains de fret et minimisant l’impact sur la biodiversité et le paysage des Corbières maritimes.
  • L’abandon des gares excentrées et la modernisation des gares centrales actuelles de Béziers et Narbonne en de véritables “Pôles d’Echanges Multimodaux”, desservis par les TaGV, pour les correspondances avec les TER, bus urbains, cars régionaux et réseau vélos.
  • La mise en service pour 2030 de l’entièreté de la ligne mixte pour répondre, en accord avec les propositions de l’Europe, à l’urgence climatique, la diminution des dépenses de santé, le bien-être des habitants, la viabilité économique de la ligne mixte Perpignan Figueras.

III.3 Lyon -Turin : un projet engagé qui ne permettra le report modal que sous certaines conditions

III.3.1 Rappel historique et position des écologistes

Le projet du Lyon-Turin Ferroviaire (LTF) fait débat depuis presque 30 ans. Il est en grande partie la conséquence du Traité de protection des Alpes, dénommé « Convention Alpine », signé entre l’Union Européenne et 8 Etats le 7 novembre 1991 et mis en application à partir de 1995. Ce traité comporte 17 protocoles dont le protocole « Transport » qui recommande « l’amélioration des infrastructures ferroviaires par la construction et le développement des grands axes ferroviaires transalpins, y compris les voies de raccordement et la mise en place de terminaux adaptés ». Les Verts, puis EELV, ont d’abord soutenu le projet LTF, à ses débuts, pour qu’il soit prioritairement orienté vers le fret marchandise. Les actes d’un colloque organisé par plusieurs organisations écologistes ont été publiés en 1997 dans un livre intitulé « Transports internationaux en montagne : sortir de l’impasse », très favorable aux nouvelles liaisons Alpines. Jusqu’en 2012, les élus locaux et régionaux Verts, puis EELV, ont porté ce projet tout en rappelant leurs exigences pour qu’il soit accompagné par des mesures fiscales et réglementaires incitatives favorisant le report modal de la route au rail. Cela avait fait l’objet d’un important rapport des conseillers régionaux LERAS et LECLAIR en 2005 dont la conclusion était « Oui au LTF à condition que .. »

Suite à la convention des écologistes sur les traversées Alpines de 2012, la position d’EELV a évolué vers : « Il n’est pas nécessaire d’engager le LTF tant que :

  • “Des mesures fiscales et sociales favorisant le report modal ne sont pas effectives”

Depuis 2012: En dehors des propositions d’adaptation de la directive “Eurovignette” appliquée aux autoroutes du Grand Sud Est, il y a eu peu d’évolution pour une mesure pouvant rapporter 40M€/an qui serait affectée au financement du tunnel de base.

  • “La progression du trafic ne justifie pas cette infrastructure”

Depuis 2012: Le trafic routier entre France et Italie a progressé de 36,1 Mt/an en 2013 à 42,7 Mt/an en 2019. Les échanges commerciaux entre la France et l’Italie ont progressé de 70 Mds€ en 2012 à 82 Mds€ en 2019.

  • “Il n’est pas tenu compte du contexte général et des capacités des autres liaisons transalpines”

Depuis 2012: La mise en service complète de la nouvelle traversée alpine en Suisse n’a pour l’instant pas eu d’influence sur la baisse des trafics en France. La progression du fret ferroviaire en Suisse a surtout permis d’absorber l’augmentation des transports de marchandises (entre 2009 et 2019, – 2,3 Mt sur la route et + 5,8 Mt sur le rail). Sur l’ensemble de l’arc Alpin, la part du rail est passée de 48 % en 1984 à 31 % en 2000. Elle plafonne depuis entre 31 % et 34 %.

  • “Les discussions européennes pour les types d’infrastructures et leurs financements n’ont pas abouti”

Depuis 2012: Le budget de la campagne européenne en faveur des infrastructures ferroviaires est passé de 8 Mds€ entre 2008 et 2014 à 26 Mds€ entre 2014 et 2020. Cette orientation forte de l’Union Européenne a de nouveau été confirmée le 9 déc 2020 par le vote du rapport « Stratégie européenne pour la mobilité intelligente et durable », et confirmé à nouveau en janvier 2021 avec l’accord sur le MIE II (Mécanisme d’Interconnexion en Europe) faisant partie du programme RTE-T, pour un montant de 33,7Mds€.

  • “Un réel débat public de chaque côté des Alpes n’est pas mis en place”,

Depuis 2012 : La loi Barnier qui a créé la CNDP en 1995 (Commission Nationale du Débat Public) s’était inspirée du débat public sur le LTF mené entre 1991 et 1993. De ce fait, il avait été décidé alors de ne pas appliquer l’obligation de la CNDP au projet qui avait inspiré sa création. (CF L. Besson, ancien ministre des transports).

III.3.2 Un projet composé de deux parties distinctes mais complémentaires :

Ø Le tunnel de base international de 57 km

Ce dossier transnational est géré au niveau de la commission intergouvernementale France-Italie pour le LTF. L’Union Européenne s’est engagée sur un financement de 40 %, puis 50 %, porté à 55 % en 2019. La part résiduelle de la France est estimée à 2,15 Mds€ à ce jour. Le tunnel de base qui a fait l’objet d’une DUP en 2007 devrait être mis en service à l’horizon de 2030 pour un montant de 8,3 Mds€ valeur 2012, certifié par un cabinet indépendant en 2016. Les travaux de reconnaissance:

  • Ont débuté en 2002 avec le creusement de 3 descenderies de 11.5 km entre 2002 et 2010 côté français et 1 descenderie de 7,5 km entre 2010 et 2015 côté italien.
  • Ont été prolongés à partir de 2010 par un nouveau creusement côté français de 10 km avec un tunnelier sur l’axe du tunnel.
  • Ont été achevés en 2019,
  • Ont été considérés comme étant la partie la plus contrainte géologiquement.

Des chantiers de préparation des têtes de tunnel et puits d’aération ont également été engagés ces dernières années. Ces travaux représentent, au total, un montant de 3,5 Mds€ réalisés ou en cours d’achèvement. Les travaux de la phase ultime de creusement du tunnel de base, à partir des 4 descenderies et 7 tunneliers en action, sont en cours d’attribution (avant la fin du premier semestre de 2021), pour un peu plus de 4 Mds€ et seront lancés en 2021 côté français et 2022 côté italien.

Ø Les accès côté français : Les accès ont été découpés en 4 phases pour un montant total de 15 Mds€ environ (valeur 2012). Seules les phases 1 et 2 ont fait l’objet d’une DUP en 2012, approuvée en 2013 :

  • La phase 1 : une ligne nouvelle mixte entre Lyon (Grenay) et Chambéry de 78 km pour un coût actualisé à 5 Mds€ avec un tunnel grand gabarit sous Dullin-Lépine de 15 km (dont 1,5 Mds€ pour le tunnel)
  • La Phase 2 : une ligne fret à grand gabarit, en voie unique, avec le premier tube de 3 tunnels (Chartreuse 25km – Belledonne 20km – Glandon 10km) entre Avressieux et St-Jean-de-Maurienne pour un coût actualisé de 3,6 Mds€

En mai 2019, le ministère des transports a confié à SNCF Réseau le soin de produire des études de phasage pour les accès au LTF. Le ministère a aussi créé un COPIL présidé par la Préfet de Région. Ce COPIL s’est réuni le 11 décembre 2020 et le 19 mars 2021.

Il a retenu 3 scénarios pour les accès qui sont un mixe des phases 1 et 2 de la DUP approuvée en 2013. Ces scénarios doivent faire l’objet d’études comparatives sur des critères techniques, économiques et environnementaux à mener en 2021 :

  • Scénario 1, appelé « Dominante fret » : soit une ligne nouvelle mixte fret voyageur entre Lyon (Grenay) et Avressieux, puis un tunnel fret monotube entre Avressieux et Montmélian pour un coût actualisé de 4,8 Mds€

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EELV : LYON – TURIN, FAIRE LES BONS CHOIX – 30 AVRIL 2021 – PARTIE N. 2