Le Parlement européen se prononcera demain 6 octobre 2020 sur la Loi Climat

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Dossier de Presse 5 octobre 2020  – La face cachée du Lyon-Turin dévoilée


La Cour des Compte Européenne a examiné le projet Lyon-Turin avec le but de contrôler si la Commission européenne avait veillé à la bonne planification et à la mise en œuvre efficiente de ce projet d’infrastructure de transport transfrontalière cofinancé par l’Union et relevant du réseau central de transport de l’UE. Les conclusions de l’étude sont contenues dans le Rapport Spécial n. 10/2020.

Pour y voir plus clair, nous avons demandé à la Cour des comptes européenne de nous remettre l’étude des chercheurs (Prof. Yves Crozet, Laboratoire de planification de l’économie des transports à l’Université de Lyon) sur la base de laquelle la CCE a tiré ses conclusions négatives, qui sont transcrites au bas de ce communiqué.

La CCE a livré ce document1 qui révèle le côté sombre du projet Lyon-Turin.

Le professeur Yves Crozet a écrit dans son rapport que « Les promoteurs des grands projets d’infrastructure doivent produire des données destinées à convaincre les décideurs et les financeurs. Pour cela, lorsqu’il s’agit de financements privés, ils ont généralement tendance à gonfler les prévisions de trafic d’une part et à sous-estimer les coûts de réalisation d’autre part. »

Et il poursuit : « Le tunnel Lyon-Turin offre un exemple typique de cette manipulation du calcul économique où, à la surestimation des trafics, s’ajoutent des évaluations fantaisistes des gains en termes d’émissions de CO2.  Une fois révisées, les données du calcul économique donnent du projet une toute autre image. »

Ces déclarations confirment ce qui avait été imaginé, à savoir que les décideurs politiques de l’UE, de la France et de l’Italie ont approuvé et continuent de soutenir le projet Lyon-Turin sur la base de données manipulées et trompeuses.

 1 “Le document a été élaboré pour la Cour des comptes européenne et ne reflète que l’opinion de ses auteurs, experts indépendants de l’Université de Lyon et chercheurs d’Anvers, Milan, Bucarest et Berlin. L’Union européenne détient les droits exclusifs sur cette étude, notamment la reproduction, la communication au public, la distribution, la location, l’adaptation et la traduction. Copyright © Union européenne, 2019″.


Résumé raisonné du Rapport Crozet

Le manque de fiabilité des données relatives au trafic

Selon les proposants, le trafic total de fret ferroviaire sur l’axe Lyon-Turin serait de plus de 41 millions de tonnes/an en 2035, soit environ 14 fois le trafic actuel.

Les proposants ont estimé le trafic pour 2004 à 8,2 millions de tonnes avec une tendance à la croissance qui porterait le trafic à 13 millions de tonnes en 2020, soit 4 fois le trafic effectivement mesuré en 2016.

Les proposants ont ensuite déclaré que le trafic augmenterait de 7,6 % par an entre 2020 et 2035 ; le taux de croissance indiqué doit être comparé au fait que le trafic global (route plus rail) dans l’ensemble de l’arc alpin a augmenté de 2,6 % par an entre 1984 et 2014. L’auteur se demande comment il serait possible d’atteindre un résultat trois fois supérieur à la tendance des 30 dernières années, d’autant plus que depuis 2008, le volume du transport de marchandises n’est que faiblement lié à la croissance du PIB.

Si l’on considère le seul trafic ferroviaire classique (sans les autoroutes ferroviaires), la progression présentée par les promoteurs conduit à 28 millions de tonnes/an en 2035, soit 10 fois les valeurs actuelles. L’auteur s’interroge sur la portée d’un tel résultat alors que, entre 2000 et 2016, le trafic ferroviaire marchand en France a diminué de 40%.

Pour ce qui est de l’autoroute ferroviaire, selon les partisans de cette mesure, le trafic en 2035 serait 65 fois supérieur à celui de 2004.

Les économies de CO2 ne sont pas fiables

Selon les auteurs de la proposition, la construction du tunnel entraînerait le rejet d’environ 10 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, en plus du niveau actuel d’émissions. Ensuite, en mettant la nouvelle ligne en service et en remplaçant une partie importante du trafic routier, la diminution des émissions compenserait ce qui a été rejeté pendant la construction, pour atteindre, d’ici 2037 (environ 25 ans après le début des travaux), la récupération de tout l’excédent ; à partir de là, le nouveau mode de transport entraînerait une réduction nette du niveau des émissions générées par le transport. Après 30 ans supplémentaires (55 ans après le début des travaux), le CO2 “économisé” s’élèverait à environ 70 millions de tonnes, au rythme de 2,5 millions de tonnes par an.

Tout cela en partant du principe que les flux de trafic sont ceux indiqués par les proposants, dont la fiabilité a déjà été critiquée. Cependant, avec ces flux de trafic, les proposants affirment qu’avec la mise en service de la ligne, il y aurait 900 000 camions de moins par an sur les routes.  Sur la base de ces données et en utilisant les tableaux officiels disponibles en France, l’auteur fait un calcul de vérification des économies de CO2.

On suppose que le camion dont les marchandises aboutissent sur la nouvelle voie ferrée aurait fait un trajet standard de 300 km (la ligne ferroviaire est longue d’environ 270 km). Les émissions de CO2 d’un camion articulé de 40 tonnes sont aujourd’hui d’environ 86 g par tonne transportée et par km parcouru. La charge moyenne d’un camion articulé de 40 tonnes sur un axe comme le Lyon-Turin est de 16,2 tonnes. En conséquence, éviter un voyage permet d’économiser

(0,08 x 616,2 x 300) = 417,96 kg de CO2 par voyage

Si les camions (c’est-à-dire les trajets) évités chaque année sont de 900 000, les économies annuelles sont

(0,41796 x 900 000) = 376 164 tonnes de CO2 par an

Beaucoup moins (presque sept fois) que les 2,5 millions déclarés par les proposants.

Cela signifie qu’il faut plus de 25 ans pour compenser les émissions supplémentaires pendant la construction, et il faut donc plus de 2050 avant que des économies puissent être réalisées. D’autre part, les économies totales après 30 années supplémentaires seraient d’environ 11 millions de tonnes, et non les 70 millions de tonnes déclarées par les proposants.

Si les camions étaient alors deux fois moins nombreux par an (450 000), les années nécessaires pour récupérer la construction seraient plus de 50 à partir de la fin des travaux, ce qui nous permettrait d’être bien en avance dans la deuxième moitié du siècle. Au bout de 30 ans (aujourd’hui au XXIIe siècle), l’économie ne serait plus que de 5,6 millions de tonnes.

Pour compléter le tableau, l’auteur note que tout le raisonnement selon lequel la “magie” d’un tunnel est suffisante pour réaliser le transfert modal de la route vers le rail, mais qu’il n’est pas clair pourquoi il devrait en être ainsi étant donné qu’au cours des vingt dernières années, dans toute la France, la part du transport ferroviaire de marchandises a été réduite de 40%.

 Commentaire

Il n’est guère utile de rappeler que l’objectif fixé par l’Union européenne dans la nouvelle loi sur le climat est de réduire les émissions de CO2 de 60 % d’ici 2030.

________________________________________

1 Actuellement, le nombre total de véhicules lourds dans la vallée de Susa et au Mont-Blanc est d’environ 1 400 000 par an.

2 http://www.objectifco2.fr/docs/upload/85/Info%20GES%20Guide%20Methodo_vf.pdf page 78

3 Sachant que, bien entendu, le transport ferroviaire implique également des émissions de CO2, les économies possibles sont encore plus faibles que celles évaluées avec prudence dans le rapport.


EXTRAIT du Rapport Spécial ECA n. 10/2020

Encadré 2 – Différences notables entre les volumes de trafic réels et ceux prévus (page 29)

1) Sur la ligne ferroviaire Lyon-Turin, les données les plus récentes de l’observatoire des trafics de marchandises dans la région alpine (2017) indiquent que moins de 3 millions de tonnes de marchandises sont transportées annuellement via la ligne conventionnelle existante. Or, selon les prévisions de trafic les plus récentes, ce chiffre devrait s’établir à 24 millions de tonnes en 2035, soit huit fois le flux de trafic actuel. Cette différence considérable peut s’expliquer par l’état inapproprié de la ligne conventionnelle existante et par le fait que le trafic peut emprunter d’autres cols alpins. Une fois achevée, la nouvelle liaison pourrait éventuellement absorber une partie du trafic actuel entre la France et l’Italie, qui s’élève au total à 44 millions de tonnes (trafics routier et ferroviaire combinés). Cependant, pour qu’un tel transfert se concrétise, certaines conditions devront être respectées, à savoir la résorption des goulets d’étranglement et la construction des liaisons manquantes au niveau du corridor, ainsi que l’amélioration des conditions de circulation multimodale afin d’assurer un trafic ferroviaire fluide et interopérable.

37 Pour quatre infrastructures de transport phares de notre échantillon (les liaisons Lyon-Turin, Seine-Escaut et du Fehmarn Belt, ainsi que l’autoroute A1 en Roumanie), notre évaluation de l’impact et des coûts associés aux exigences environnementales a été effectuée avec l’aide d’experts indépendants20.Ceux-ci ont conclu que la coexistence d’exigences environnementales européennes, nationales, et parfois régionales, différentes compliquait et retardait la planification et la réalisation des infrastructures de transport phares, mais que les facteurs budgétaires restaient les plus contraignants.

Note 20 : De l’université de Lyon, ainsi que des chercheurs établis à Anvers, Milan, Bucarest et Berlin. 

38 De plus, l’évaluation des avantages environnementaux générés par les infrastructures de transport phares sur le plan des émissions de CO2 doit tenir compte aussi bien des effets négatifs de la construction que des effets positifs à long terme de l’exploitation de l’infrastructure une fois celle-ci achevée. En réalité, la construction de nouvelles grandes infrastructures de transport est une source importante d’émissions de CO2, tandis que les avantages environnementaux dépendent du volume du trafic effectivement transféré depuis d’autres modes de transport, plus polluants. Étant donné le caractère très modeste du transfert modal en Europe ces 20 dernières années, il existe un risque élevé de surestimation des effets positifs de la multimodalité de bon nombre des infrastructures de transport phares. Le gestionnaire d’infrastructure français a par exemple estimé en 2012 que la construction de la liaison transfrontalière Lyon-Turin, et de ses lignes d’accès, générerait 10 millions de tonnes d’émissions de CO2. Selon ses estimations, cette infrastructure de transport phare ne deviendra avantageuse du point de vue des émissions de CO2 que 25 ans après le début des travaux. Cependant, se fondant sur les mêmes prévisions de trafic, nos experts ont conclu que les émissions de CO2 ne seraient compensées que 25 ans après l’entrée en service de l’infrastructure. Cette prédiction dépend en outre des volumes de trafic : s’ils n’atteignent que la moitié du niveau prévu, il faudra 50 ans à partir de l’entrée en service de l’infrastructure avant que le CO2 émis par sa construction soit compensé.