Écosystèmes et pollution Enquête - https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/160724/lyon-turin-le-megaprojet-de-tunnel-impacte-l-eau-de-la-montagneLa traduzione in italiano segue l’originale

D’après un document interne à EDF que s’est procuré Mediapart, le creusement du tunnel ferroviaire a, en 2019, vidé de son eau un pan de montagne dans la vallée de la Maurienne, en Savoie. De ce fait, l’affaissement d’un barrage a été accéléré.

Mickaël Correia et Jade Lindgaard

La traduction de l’article en italien est suivie par les questions que Mediapart a posées à EDF, TELT et DREAL et des réponses.

C’est un document technique sur l’état de barrages de montagne comme il en existe des centaines.

Sauf que celui-là possède une valeur particulière. Il concerne un chantier très sensible du fait de son coût (estimé à 26 milliards d’euros en 2012 par la Cour des comptes) et de la contestation dont il fait l’objet : le tunnel ferroviaire Lyon-Turin, qui doit être creusé à travers les Alpes.

Sur ce document signé d’un ingénieur EDF, en juin 2023, et que Mediapart s’est procuré, on voit qu’en un point du tracé, près du barrage du Pont-des-Chèvres dans la vallée de la Maurienne (en Savoie), le niveau de l’eau mesuré par un piézomètre à l’intérieur des massifs rocheux s’est effondré, d’un coup, en avril 2019.

Deux chiffres sont mis en exergue par l’expert : 150 mètres, soit la distance perdue par le niveau d’eau dans la montagne. Et une date : avril 2019, qui est à la fois celle du relevé du piézomètre et celle de « venues d’eau en tunnel » comme le note l’ingénieur. Autrement dit : du percement d’un tronçon du Lyon-Turin.

Cadre d’une entreprise spécialisée dans le creusement de tunnel, Jérôme* était présent sur le chantier du Lyon-Turin en avril 2019 : « On creusait une galerie pour le tube sud du tunnel à proximité du barrage et il y a eu une venue d’eau importante, d’environ 50 litres d’eau par seconde. Nous avons dû arrêter le chantier durant une journée. C’était un tronçon très compliqué à creuser, avec une géologie chahutée et pleine de failles, qui bouge beaucoup. »

Des « venues d’eau exceptionnelles » dans cette galerie du tube sud Lyon-Turin, et avec le même débit de 50 litres par seconde, sont mentionnées dans le document d’EDF.

« Il existe un réseau de piézomètres pour surveiller le niveau des eaux en montagne, spécifiquement réalisé dans le cadre du Lyon-Turin, témoigne pour sa part à Mediapart Nicolas*, un technicien qui a travaillé un temps sur l’ouvrage. On a vu une réponse assez rapide juste après le passage du tunnelier dans une galerie de reconnaissance. Le relevé d’un piézomètre a chuté de 150 mètres, c’est énorme, et très significatif comme chute de niveau. »

 Extrait du Power Point interne à EDF à propos des impacts du Lyon-Turin sur ses ouvrages. © Document Mediapart

Selon un hydrogéologue qui connaît bien cette montagne, mais demande à rester anonyme pour ne pas être étiqueté comme opposant au projet : « Le creusement de la galerie est en train de vider la montagne de son eau à cet endroit. Dans les Alpes, le milieu géologique est très fracturé. La roche est pleine d’eau. Si des failles dans cette roche viennent à communiquer avec la galerie percée, elles vont drainer l’eau depuis le massif vers le tunnel. »

C’est d’autant plus préoccupant, selon ce spécialiste, que l’eau est descendue si bas qu’elle se retrouve sous le niveau de l’Arc, la rivière qui coule à côté. Elle ne peut donc plus s’y déverser. Et se répand à la place dans les galeries du tunnel situées au-dessous : « L’eau est évacuée de la galerie par pompage plus loin dans la vallée et par conséquent cette eau est perdue pour toujours dans ce secteur… »

Sollicité par Mediapart, Telt (Tunnel Euralpin Lyon Turin), la société franco-italienne chargée de la réalisation du tunnel, n’a pas répondu à nos questions spécifiques concernant l’effondrement soudain du niveau d’eau lors du percement de la galerie en montagne (voir en annexes). La direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) Auvergne-Rhône-Alpes est restée silencieuse devant nos interrogations.

Un affaissement des sols de 6 centimètres

Si un ingénieur d’EDF s’inquiète de ces mesures, c’est par peur que les travaux du tunnel n’impactent ses barrages. D’après le document, le tracé du Lyon-Turin sillonne à proximité d’une vingtaine d’ouvrages gérés par le groupe électricien. Et le barrage du Pont-des-Chèvres constitue un maillage essentiel de la centrale hydroélectrique Super-Bissorte.

Or, des diapositives indiquent qu’entre avril et décembre 2019, l’affaissement de l’infrastructure du Pont-des-Chèvres s’est soudain accéléré. En effet, si l’infrastructure s’enfonce naturellement dans les sols avec une moyenne de 0,5 millimètre par an, le passage du tunnelier semble avoir multiplié par endroits la vitesse de tassement du barrage par quinze, pour atteindre les 7,3 millimètres par an, avant de revenir à sa vitesse d’affaissement normal.

Extrait du Power Point interne à EDF à propos des impacts du Lyon-Turin sur ses ouvrages. © Document Mediapart

Par ailleurs, sur le versant de la montagne attenant au barrage, un altimètre a enregistré, toujours en avril 2019, un affaissement des sols de six centimètres. Avec la chute d’eau de 150 mètres mesurée à proximité le même mois, l’ingénieur EDF juge dans son document que ces données « interpellent (fortement) ».

« En creusant le tunnel, les failles rocheuses se sont vidées de leur eau. Toute la zone ayant été drainée, les failles se resserrent, et cela provoque un tassement du sol », résume Jérôme*, le cadre qui a participé au creusement de la galerie près du barrage du Pont-des-Chèvres.

Signe de la préoccupation d’EDF, le document technique dévoile que le groupe a commandé des mesures supplémentaires. Ces dernières montrent que tout le versant de la montagne situé entre la galerie creusée et le barrage s’est tassé en 2019-2020.

« Pour le barrage du Pont-des-Chèvres, il a été constaté un tassement plus important de l’ouvrage pendant quelques mois lors du second semestre 2019, confirme EDF auprès de Mediapart (voir en annexe). Ce phénomène a été étroitement surveillé et il n’en a résulté aucune atteinte à la sûreté hydraulique. » Et le groupe ajoute rester « mobilisé », en lien avec les acteurs du projet, « sur la surveillance permanente de l’ensemble de ses aménagements à proximité du tracé Lyon-Turin ».

De son côté, Telt avance que le partage d’analyses avec EDF visant à déterminer les causes d’un tassement du barrage constaté en 2019 a conclu que « le tassement est d’une amplitude similaire à d’autres déjà enregistrés dans le passé, avant les travaux de Telt » et que, selon lui, « une relation directe avec l’excavation du tube sud du tunnel de base n’est donc pas établie ». Une nouvelle campagne de surveillance spécifique en vue du début de l’excavation d’une autre partie du tunnel, le tube nord du tunnel de base, a néanmoins été programmée.

Le précédent d’un barrage suisse

Dans son document, l’ingénieur EDF rappelle que dans cette région alpine, en 1978, le barrage de Tseuzier, en Suisse, s’était enfoncé de plusieurs centimètres, créant des fissures dans l’ouvrage. À l’origine de cet aléa devenu, selon une revue scientifique, un « cas d’école » : le percement d’un futur tunnel routier, quelques centaines de mètres en aval. Durant le chantier, « des venues d’eau considérables » se sont produites dans la galerie et ont conduit au « resserrement des fissures » de la montagne, correspondant à « un affaissement de 9 centimètres des massifs rocheux ». En conséquence, le barrage a été rendu indisponible durant près d’une décennie.

Trois experts de la sécurité des barrages contactés par Mediapart estiment que l’accélération de la vitesse de tassement de l’ouvrage de Pont-des-Chèvres est anormale, notable et associée au passage du tunnelier Lyon-Turin. Toutefois, si selon eux cet affaissement n’est pas dramatique, ils alertent sur le fait que les parties en béton du barrage pourraient être affectées, notamment les dalles d’étanchéité des fondations.

« On a vu ce genre de dynamique lors d’un séisme en Italie : un barrage s’était affaissé brutalement puis a repris son rythme de tassement normal. C’est comme si le barrage avait pris un coup de vieux de 20 ans », schématise un des experts.

« Le barrage de Pont-des-Chèvres nécessite une surveillance renforcée, c’est un ouvrage qui nous embête bien. Nous avons peu d’infrastructures dans notre parc qui présentent une telle cinétique de tassement, détaille pour Mediapart un spécialiste à EDF des domaines souterrains. L’augmentation de la vitesse des tassements est très concordante avec le creusement du tunnel, cela fait une problématique en plus à gérer pour les maîtres d’ouvrage du Lyon-Turin»

À lire aussi  Lyon-Turin : les travaux bravent l’interdiction de creuser sur 16 sites d’eau potable Le document mentionne une procédure d’expertise judiciaire sur ce barrage, inhérente à ce type d’évènement exceptionnel, lancée en 2020, mais ni Telt, ni EDF n’ont répondu à Mediapart à ce sujet. Empreinte environnementale démesurée, artificialisation de terres agricoles, bilan carbone du projet, menace sur seize sites d’eau potable.

Ce document interne à EDF ajoute une nouvelle pièce à l’épais dossier des impacts délétères du Lyon-Turin pour le massif alpin.

« EDF reste mobilisée, en lien avec l’ensemble des acteurs du projet, sur la surveillance permanente de l’ensemble de ses aménagements à proximité du tracé Lyon-Turin », a assuré l’électricien.

Le 14 mai dernier, Gabriel Attal, alors premier ministre, s’était félicité lors de la visite du chantier : « Ce projet, cest l’écologie en acte. »

Mickaël Correia et Jade Lindgaard


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Torino – Lione: il megaprogetto di tunnel impatta l’acqua della montagna

Secondo un documento interno di EDF ottenuto da Mediapart, lo scavo del tunnel ferroviario nel 2019 ha prosciugato un tratto di montagna nella valle della Maurienne, in Savoia. Questo ha accelerato l’assestamento di una diga.

Mickaël Correia et Jade Lindgaard

16 luglio 2024 alle 13:16

Si tratta di un documento tecnico sullo stato delle dighe di montagna, che sono centinaia.

Solo che questo ha un valore particolare. Si riferisce a un progetto molto delicato per il suo costo (stimato dalla Corte dei Conti francese in 26 miliardi di euro nel 2012) e per la sua contestazione: il tunnel ferroviario Lione-Torino, che dovrebbe essere scavato attraverso le Alpi.

Il documento, firmato da un ingegnere di EDF nel giugno 2023 e ottenuto da Mediapart, mostra che in un punto del tracciato, vicino alla diga di Pont-des-Chèvres nella valle della Maurienne (Savoia), il livello dell’acqua misurato da un piezometro all’interno dei massicci rocciosi è improvvisamente crollato nell’aprile 2019.

Due le cifre evidenziate dall’esperto: 150 metri, la distanza persa dal livello dell’acqua nella montagna. E una data: aprile 2019, che è sia la data di lettura del piezometro sia la data di “ingresso dell’acqua nel tunnel”, come osserva l’ingegnere. In altre parole: lo scavo di un tratto della Lione-Torino.

Jérôme*, dirigente di una società specializzata nella costruzione di gallerie, si trovava sul posto nell’aprile 2019: “Stavamo scavando una galleria per la canna sud del tunnel vicino alla diga quando è entrata una grande quantità d’acqua, circa 50 litri al secondo. Abbiamo dovuto interrompere i lavori per un giorno. Si trattava di una sezione molto complicata da scavare, con una geologia accidentata, piena di faglie e con molti movimenti”.

Il documento di EDF parla di “afflussi d’acqua eccezionali” in questa galleria del tubo sud della Lione-Torino, con la stessa portata di 50 litri al secondo.

Esiste una rete di piezometri per monitorare il livello dell’acqua nelle montagne, creata appositamente per il progetto Lione-Torino”, ha dichiarato a Mediapart Nicolas*, un tecnico che ha lavorato al progetto per un certo periodo. Abbiamo assistito a una risposta piuttosto rapida subito dopo il passaggio della TBM in una galleria di ricognizione. La lettura di un piezometro è scesa di 150 metri, un’enormità e un calo di livello molto significativo”.