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Le tunnel Lyon-Turin est une folie, point de vue de Rémy Prud’homme
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Par Rémy Prud’homme | 18/12 | 06:00 | Les Echos
La France et l’Italie s’apprêtent à dépenser plus de 26 milliards d’euros pour une ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Lyon et Turin avec un tunnel de 50 kilomètres de long. On croit rêver. Toutes les études indépendantes ont montré que ce projet pharaonique était une folie économique.
Il est facile de le comprendre en pensant au tunnel sous la Manche. Le coût de la ligne Lyon-Turin est plus élevé que celui de la ligne Paris-Londres. Mais le trafic et donc les revenus potentiels sont beaucoup plus faibles (14 fois pour les passagers, 3 fois pour les marchandises). Déjà, les revenus du tunnel sous la Manche ne couvrent pas ses dépenses d’investissement et de fonctionnement, comme le savent trop bien les épargnants et les banques qui l’ont financé. Les revenus du tunnel alpin ne couvriront même pas 10 % des coûts. Tout cela était déjà évident dans les années 1990, lorsque le projet a été conçu. Cela l’est bien davantage aujourd’hui, du fait d’une triple évolution.
Tout d’abord, le coût du projet a considérablement dérivé : il est passé de 16 à 26 milliards d’euros ; et tout le monde sait que ce coût prévisionnel est bien inférieur à ce que sera le coût effectif.
Deuxièmement, les prévisions de croissance du trafic, qui étaient très généreuses (on postulait un doublement, voire un quadruplement pour le fret ferroviaire), ne se sont pas du tout avérées. Depuis vingt ans, le trafic entre Lyon et Turin stagne ou décline. Les raisons en sont multiples : désindustrialisation des deux pays, allégement des produits, fin de la croissance, ouverture à grands frais des tunnels ferroviaires suisses, plus grande efficacité de la route, etc. On les voit mal disparaître dans les années à venir.
Troisièmement, la situation des finances publiques de la France et de l’Italie s’est considérablement dégradée. Coût du projet en hausse plus utilité en baisse égalent déficit aggravé. Les 26 milliards d’investissement seront intégralement à la charge des budgets publics, c’est-à-dire financés par une augmentation des impôts et/ou une augmentation de la dette. Il ne faut certainement pas compter sur les épargnants ou les banques, échaudés par l’affaire du tunnel sous la Manche. Les partenariats public-privé parfois évoqués ne seront que des emprunts déguisés. On nous dit que l’Union européenne participera à hauteur de 10 ou 15 %, avec notre argent, à ce méga-gaspillage. Curieuse institution pousse-au-crime et schizophrène : d’une main, elle exige que la France et l’Italie réduisent dette publique et impôt, de l’autre, elle les incite à faire de lourdes dépenses inutiles.
Ce projet n’est guère défendu que par les puissants lobbies des travaux publics en France et en Italie et par les élus des régions bénéficiaires, comme Rhône-Alpes ou le Piémont - une subvention du reste du pays, c’est bon à prendre, même quand on est une région riche. En août 2012, un référé très critique de la Cour des comptes sur le projet recommandait « de ne pas fermer trop rapidement l’alternative consistant à améliorer la ligne existante », ce qui est une façon de dire : « abandonner le projet ». Il y a quelque mois, en juin 2013, la commission présidée par Philippe Duron, ancien président (PS) de la région Basse-Normandie, présentait un rapport lucide et courageux sur les investissements de transport à entreprendre d’ici à 2030, qui mettait l’accent sur la priorité absolue à donner à l’entretien des réseaux et écartait tout projet de LGV nouvelle. Bercy, soucieux des intérêts économiques et financiers du pays, est fermement opposé à cette dépense supplémentaire. La SNCF elle-même ne soutient guère le projet, dont elle sait bien qu’il contribuera à un déficit qui lui sera reproché. On se demande dans quel monde vivent nos hommes politiques.
Rémy Prud’homme
Rémy Prud’homme est professeur émérite des universités.