… voilà pourquoi l’Italie et la France peuvent abandonner le projet …

L’Avis de Sergio Foà, professeur ordinaire en droit administratif à l’Université de Turin


La décision sur l’avenir du Lyon Turin n’appartient pas à aux partisans des Grands Projets. Des dizaines d’années de réflexions et évaluations économiques,  juridiques avec la contribution d’experts des transports ont abondamment indiqué que le Lyon Turin est un Grand Projet Inutile et Imposé qui, s’il sera réalisé, n’aura pas de retour économique positif.

Affirmer que l’abandon d’un Grand Projet Inutile et Imposé, en particulier lorsque sa réalisation n’a pas encore commencée comme dans le présent cas, devrait toujours être possible sur la base des principes de prudence et de précaution économique et environnementale.

Dans le cas du Lyon-Turin, c’est la même Union européenne qui permet l’abandon du projet lorsqu’elle affirme que « La décision de mettre en œuvre ces projets relève de la compétence des États membres et dépend des capacités de financement public ainsi que de leur viabilité socio-économique »  (Art. 17 du Règlement (UE)1316/2013 CEF).

Le Gouvernement italien a déjà annoncé officieusement que l’analyse coûts-avantages du Lyon Turin est négative, le Gouvernement français pourra le confirmer ayant reçu hier cette étude.

L’aile gouvernementale italienne favorable au projet s’attend à ce que le rapport technico-juridique rédigé par le Conseil juridique de l’État italien en annule le résultat négatif de l’ACB, comme cela avait déjà été le cas pour le projet du Troisième Col, grâce à l’utilisation sans scrupule d’arguments juridiques faibles.

L’Italie et la France doivent plutôt connaître la vérité juridique d’un projet international dont les implications sont très complexes et qui contient en elles les “portes de sortie” que les décideurs politiques favorables ont toujours ignorées.

Le Conseil juridique de l’État italien ne sera pas en mesure d’affirmer l’existence de sanctions alléguées en faisant un copier-coller des déclarations et des chiffres préparés par les promoteurs du projet.

La sortie de l’Italie et de la France du projet est un droit établi par la réglementation européenne et une obligation sur la base des résultats technico-économiques.

Karima Delli, Présidente de la Commission Transports du Parlement Européen l’a confirmé le 29 janvier 2019.

Nous mettons à la disposition des  Gouvernements italien et français, par le biais de cette communication, un rapport juridique qui fera la différence et montrera que l’Italie et la France peuvent abandonner le projet.

Ce rapport juridique, préparé par le Professeur Sergio Foà, Ordinaire en  droit administratif à l’Université de Turin, décrit les scénarios possibles en cas d’abandon du début des travaux de la phase finale du projet Lyon-Turin, à savoir l’excavation du tunnel de base de 57,5 km.

Ce document examine les relations entre les différents sujets impliqués dans la réalisation du projet et vérifie les conditions de sa faisabilité.

Sur les relations entre l’Italie et la France

Il convient de souligner que l’Italie et la France pourraient commencer la construction des travaux finaux (c’est-à-dire l’excavation du tunnel de base) uniquement si les ressources financières nécessaires pour mener à bien l’ensemble des travaux étaient disponibles. C’est la condition nécessaire pour le début de chaque phase de l’œuvre énoncée à l’Art. 16 de l’Accord de Rome du 30.1.2012.

Nous savons que cette condition n’est pas remplie et que les travaux ne peuvent pas démarrer.

En outre, l’Annexe 2 de l’Accord de Rome de 2012 a indiqué aux décideurs politiques que France et Italie étaient résolus à réduire les effets sur les finances publiques; en d’autres termes, on doit pas réaliser un investissement sans “retour économique”, comme ce sera le cas pour le Lyon-Turin.

Voici un autre élément qui empêche le démarrage du projet final.

Bien que le coût certifié et validé soit défini dans le Protocole additionnel de  Venise du 8 Mars 2016 à l’Accord du 24.2.2015, le projet est placé sous le contrôle conjoint des deux États: la société  TELT ne peut donc agir que sur la base d’une déclaration commune des deux Gouvernements, comme indiqué à l’Art. 3 de l’Accord de 2012, qui n’est pas à l’horizon.

C’est le troisième facteur qui empêche le début des travaux finaux.

Sur les relations avec l’Union européenne

Le GRANT AGREEMENT du 25 novembre 2015, c’est-à-dire le contrat de financement entre l’Italie, la France et l’UE, ne porte que sur des travaux à achever d’ici fin 2019 financés par l’UE pour un montant total de 813.781.900 (cf. ici la fiche_2014-eu-tm-0401-m_final), et il ne prévoit de sanctions administratives qu’en cas de manquement grave des bénéficiaires, aujourd’hui inexistant.

Les actions en cours ne sont que des œuvres géognostiques, celles définitives figurant dans le Grant Agreement ne peuvent pas être démarrées avant le 31 décembre 2019 en raison de la prohibition imposée par l’art. 18 de l’Accord de Rome du 30.1.2012.
Tout retard dans leur utilisation n’entraînera aucune sanction, mais seulement le non-paiement de fonds selon le principe use it or lose it.

Nous le savons, mais aussi les Gouvernement italien et français devraient le savoir, que l’Union européenne a décidé que les États membres auraient le dernier mot pour décider de mettre en place ou de suspendre des projets pouvant être financés sur la base de deux critères : la capacité de financement public et la faisabilité sociale.
Le Règlement (UE) 1316/2013 CEF a établi que « La décision de mettre en œuvre ces projets relève de la compétence des États membres et dépend des capacités de financement public ainsi que de leur viabilité socio-économique » (article 17, paragraphe 3), comme prévu par le art. 7, par. 2, lett. c).

En conclusion, et à la lumière de ces prévisions, les États membres, qui restent titulaires du pouvoir de décider de la mise en œuvre des projets en fonction des critères énoncés, sont tenus de démontrer la capacité de financement public de chaque phase du projet selon l’Analyse coûts-avantages, s’ils ont l’intention de poursuivre l’exécution du projet.

Dans le cas d’une révision du projet et de ses délais d’exécution

Dans ce cas, il n’y aura pas de sanctions, car l’Union européenne ne lie pas les États membres dans leurs décisions en matière de planification. L’UE devrait envisager de modifier la convention de subvention (entre les États membres et INEA, pour le compte de l’UE) ou, à défaut, de pouvoir modifier le prêt ou de le révoquer dans les parties des travaux non exécutés.

Les accords entre l’Italie et la France ne prévoient pas la date avant laquelle le tunnel devrait être creusé, car l’Art. 1 de l’Accord de Turin 29.1.2001 a établi que « Les Gouvernements français et italien s’engagent par le présent accord à construire ou à faire construire les ouvrages de la partie commune franco-italienne, nécessaires à la réalisation d’une nouvelle liaison ferroviaire mixte marchandises-voyageurs entre Lyon et Turin et dont la mise en service devrait intervenir à la date de saturation des ouvrages existants. »

Nous espérons que l’Italie et la France aient jusqu’ici surveillé attentivement l’activité de TELT, car tout manquement de cette société reste imputable aux États membres qui l’ont établie envers l’UE, conformément aux principes généraux énoncés par la jurisprudence européenne sur la non-utilisation des fonds engagés.

Nous souhaitons également souligner que, en ce qui concerne les marchés de travaux confiés par TELT, la loi italienne prévoit la renonciation de l’adjudicataire à toute réclamation, même future, liée à l’éventuelle annulation ou tardif financement de l’ensemble des travaux ou des lots ultérieurs (Article 2, paragraphe 232, lettre c) Loi n. 191 de 2009 (Budget 2010) mentionné par le CIPE, dans sa Résolution n. 67/2017. L’applicabilité de la législation italienne susmentionnée aux relations contractuelles découlant de procédures d’appel d’offres régies par le droit français découle de l’art. 3 de la Loi de Ratification du 5 janvier 2017, n. 1 de l’Accord France Italie de 2015

Conclusion
En conclusion, l’Italie devrait justifier politiquement et juridiquement la nécessité de réviser les engagements pris dans l’accord avec la France sur la base de deux éléments:

1. la répartition inéquitable des coûts, car elle n’est pas basée sur les kilomètres du tunnel (Italie 12,5 km, France 45 km) au sens de l’art. 11 de l’Accord de Rome du 30.1.2012.  (Cf. Lyon-Turin: Mais combien ça coûte?)

- en fait, l’engagement de l’Italie à financer le 57,9% des travaux du tunnel de base (conformément à l’Article 18 de l’Accord de 2012) constitue une compensation financière inéquitable de l’engagement que la France a déjà reportée, c.à.d. la construction d’une nouvelle voie d’accès ferroviaire entre Lyon et Saint-Jean-de-Maurienne avec 33 km de tunnels à double canne à ses propres frais, sans financement de l’UE, conformément à l’art. 4 de l’Accord de Paris du 27 septembre 2011. Sans cette contrepartie de la France, l’Italie n’aurait aucun intérêt à signer aucun engagement, puisqu’ils insistent sur son territoire seulement 12,5 kilomètres sur un total de 57,5 ​​km du tunnel de base,

- il est légitime que l’Italie refuse de financer de plus que la France la construction du tunnel de base de 57,5 ​​km sans contrepartie française car une participation financière supérieure à celle de la France est requise en tant que rééquilibrage.

2.les prévisions italiennes concernant des lots constructifs non fonctionnels, dont une partie n’est pas encore couverte financièrement (comme indiqué dans la même Résolution CIPE n. 67/2017, précitée).


L’Avis du prof. Sergio Foà (texte en italien)